Le 27 mai dernier, les députés ont adopté en première lecture (ce qui ne clôt pas le travail parlementaire puisque le Sénat intervient ensuite) une loi créant une « aide à mourir ». Toutes les religions, sans exception, adoptent une posture réfractaire à la proposition de loi sur l'aide à mourir. Le pasteur François Clavairoly, qui a participé à un ouvrage collectif (« Les religions et la fin de vie » - 2023), aborde la loi avec "plus d'ouverture" pour plusieurs raisons. Nous reprenons ici les propos qu’il a tenus dans une vidéo produite par Regards Protestants.

Longtemps clairement opposé à l’euthanasie, l’ancien président de la Fédération protestante de France raconte le « déplacement intérieur » qu’il a vécu au fil des ans grâce à ses réflexions, travaux et écrits sur le sujet de la fin de vie. L’aboutissement de ce cheminement a forgé sa conviction selon laquelle le « non » à l’euthanasie, le refus de l’aide à mourir, ne répond pas à la demande formulée par une personne. Il exprime aujourd’hui une « position d’ouverture ».

Sur ce thème, deux dimensions co-existent et sont en débat permanent. Certes, l’aide à mourir est un sujet profondément intime et, par nature, individuel. Mais il comporte également un aspect collectif car c’est un sujet de la société. « Il faut en permanence tenir les deux enjeux avec fraternité, de sorte que la fin de vie puisse se vivre avec confiance ».

Pour François Clavairoly, « Les 6 cultes présents en France ont fait une déclaration commune, ils ont produit des textes, ils ont défendu ce travail devant les chambres des élus. Toutefois, dans la tradition protestante, nous avons toujours veillé à faire valoir la diversité des points de vue. Or dans la présentation de cette position « officielle » de la fédération protestante de France, je crains que cette pluralité n’ait pas été valorisée à sa juste mesure. »

La question du suicide, qu’il se situe dans une problématique d’euthanasie ou pas, est « un sujet abyssal ». La bible relate six histoires de suicide différentes (un des rois d’Israël, Saül, un disciple de Jésus, Judas, et d’autres personnages). Il est intéressant de souligner que, « dans aucun de ces cas, il n’y a condamnation. Le suicide y est l’expression d’un malheur, d’un échec, d’une perte. Mais on ne parle pas d’exemption du salut, d’enfer ou tout autre condamnation…. Je pense que si nous croyons en Dieu, Dieu croit en nous bien plus que nous ne croyons en lui. Que ce geste soit le fruit d’un désespoir ou celui d’une fierté (dans certains récits c’est le cas : mourir libre et digne), Dieu le regarde avec la bienveillance qui est la sienne ».

Il y a deux conceptions concernant la vie. L’une pose que la vie appartient à l’homme, autonome et libre, il en fait ce qu’il veut. C’est la posture d’une grande partie de la philosophie grecque, présente encore aujourd’hui. L’autre affirme que la vie est sacrée, intouchable, inviolable, don de Dieu. C’est notamment la posture des religions à ce jour.

Ni l’une ni l’autre n’intègre le lien avec Dieu. Dans la posture des philosophes antiques, Dieu est absent. Dans l’autre, la radicalité va sans doute au-delà de ce que nous dit la bible. « Rappelons que selon Paul, le lien n’est pas rompu lors de la mort. La mort ne nous arrache pas à la proximité avec Dieu. Cette affirmation que la vie est sacrée comporte un absolu, une revendication radicale d’un interdit dont on ne trouve pas trace dans la Bible. Cette position s’appuie sur deux textes bibliques : Exode 20 (« tu ne tueras pas ») et Deutéronome 30 « Choisis la vie ». Quand on les lit attentivement, il apparait que ces deux textes n’énoncent pas des injonctions juridiques et morales. Ils nous encouragent à ne pas tuer, à choisir la vie, mais cette situation, où l’homme va tuer ou ne pas choisir la vie, peut arriver malgré tout ».

La conviction du pasteur Clavairoly s’est construite parce qu’il y a des garde-fous importants dans la loi. Il en cite trois lors de cette interview.

La clause de conscience pour le corps médical est au centre. L’acte de faire mourir, est normalement à la main de la personne, mais si cette personne ne peut plus le faire, il est effectué par le médecin. Or ce n’est pas considéré comme un acte de soin et c’est donc très sensible. Dans la loi, personne ne sera obligé de commettre l’acte de faire mourir. Si le médecin ou l’infirmier le souhaite, cette clause lui permet de se retirer et de demander à un confrère de ne pas laisser sans réponse la personne qui a formulé la demande. Par ailleurs le texte prévoit un délai de réflexion, indispensable, qui dispose que la personne puisse changer d’avis et qui garantit qu’elle reste libre dans son choix. Enfin, il intègre et régule un risque avéré, celui que l’entourage de la personne, la famille, les proches, soient facteurs de pression. Le but est d’éviter que cette personne ne se sente comme une charge inutile, en trop, appelée à quitter la vie.

Le sujet porte aussi une grande question : « À qui appartient le corps ? On a longtemps dit « à Dieu », puis « à la médecine », Aujourd’hui l’idée que le corps appartient à la personne advient. Il faut trouver la juste mesure entre ce lien à Dieu, ce lien à la médecine, ce lien à soi.
Je tiens à la vie comme un bien précieux qui m’a été confié par Dieu et j’en suis responsable jusqu’au bout ».

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Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Quentin Sondag, Horizontal Pictures
Entretien mené par : David Gonzalez